La Fripe : une « fausse alternative » à la fast fashion ?

Depuis quelques années, les friperies séduisent un public de plus en plus large, notamment les jeunes générations soucieuses d’adopter une consommation plus responsable. Mais alors qu’elles étaient autrefois un moyen d’accéder à des vêtements de qualité à moindre coût, elles semblent aujourd’hui s’inscrire dans les mécanismes mêmes de la surconsommation. La friperie est-elle toujours une véritable alternative à la fast fashion ou devient-elle, malgré elle, une extension du système qu’elle prétend combattre ?

Le terme friperie trouve son origine dans le vieux français frepe, signifiant « vieux chiffons ». Les premières friperies sont apparues au Moyen Âge, lorsque les vêtements étaient coûteux et souvent transmis de génération en génération. Ces échoppes, souvent appelées "marchands de chiffons", étaient destinées principalement aux classes populaires qui n’avaient pas les moyens de se procurer des vêtements neufs. Au fil du temps, la friperie a été perçue comme un lieu réservé aux pauvres, une image qui a perduré jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Cependant, dans les années 1960, un changement majeur s’opère. Les jeunes générations, marquées par les mouvements contestataires et l’essor de la culture alternative, redécouvrent les friperies comme des lieux de rébellion contre la mode de masse. Les hippies, les punks, puis les amateurs de vintage réinvestissent ces lieux en quête de pièces uniques et de styles originaux. Les friperies deviennent alors un symbole de contestation face à la société de consommation, et la mode "de seconde main" se transforme en un véritable mouvement culturel.

Aujourd’hui, la friperie est plus qu’acceptée : elle est devenue une véritable tendance, portée par les réseaux sociaux et des plateformes en ligne comme Vinted. Aujourd'hui, la seconde main est un secteur en pleine expansion. D’un marché autrefois marginalisé, elle est désormais un secteur florissant, pesant 128 milliards de dollars dans le monde, et séduit 98 % des Européens. Mais à mesure que cet engouement grandit, la friperie commence à perdre de vue son objectif initial : proposer une consommation raisonnée et durable.

Une industrie de la seconde main qui reproduit les excès de la fast-fashion

Si l’essor des friperies répond à une volonté écologique, il est paradoxalement accompagné d’un phénomène de surconsommation. Les prix augmentent, les articles se multiplient et l’accent est mis sur la quantité plutôt que sur la qualité. Désormais accessibles à tous, elles ne sont plus uniquement un moyen de recycler, mais aussi de cumuler des vêtements à bas prix sans réelle nécessité.

L’Infiltration des invendus neufs

L’un des phénomènes les plus inquiétants observés ces dernières années est l’arrivée massive de vêtements neufs invendus dans les friperies. Ces produits proviennent souvent des grandes enseignes de fast fashion qui, plutôt que de jeter leurs excédents, choisissent de les écouler via des circuits de seconde main. Ces invendus, parfois encore étiquetés, se retrouvent mélangés à des pièces vintage, brouillant ainsi la frontière entre la mode durable et la surproduction.

Emmanuelle Durand, anthropologue et autrice de L’Envers des Fripes, a observé que cette évolution profite largement à la fast fashion. Elle affirme que la présence de ces invendus en friperie permet aux grandes marques de continuer à produire massivement sans avoir à faire face aux conséquences écologiques ou économiques de cette surproduction.

Cela entraîne un paradoxe : les friperies deviennent un moyen de maintenir la machine de la fast fashion en marche, sous couvert d’éco-responsabilité. Au lieu d’encourager une réduction de la production textile, ce modèle légitime une forme de consommation toujours plus grande.

Une offre qui encourage la surconsommation

Les plateformes de seconde main comme Vinted ou les friperies physiques proposent une offre infinie de vêtements, encourageant une consommation sans fin. Le phénomène du scrolling infini, où les utilisateurs font défiler des centaines de milliers de produits sans jamais s’arrêter, devient un véritable piège.

Agathe, vendeuse chez Kilo Shop, témoigne :

« Les friperies sont devenues des lieux tendance où il est mal vu de consommer de la fast fashion. Pourtant, les gens continuent d'acheter en masse, motivés par le fait que c'est de la seconde main. »

Roger, vendeur chez Hippy Market, partage le même avis , il constate que :

« Les gens ne cherchent plus juste à acheter des vêtements en fonction de leurs besoins, mais plutôt de leurs envies, à la manière de la fast fashion. Le côté utilitaire de la friperie s’efface au profit d’une consommation plus égoïste. »

©Lesly-Anne Laviolette

La Friperie, toujours une alternative valable ?

Bien que la friperie soit de plus en plus influencée par les logiques de la fast fashion, elle reste une alternative plus responsable à l’industrie textile. L’achat de vêtements de seconde main permet en effet de réduire la production de nouveaux vêtements, et donc de limiter l'impact environnemental de l'industrie textile.

Toutefois, cette démarche peut facilement être pervertie si elle est menée sans réflexion. Le véritable esprit de la friperie, c’était de donner une seconde vie aux vêtements, de favoriser les pièces durables, et de rendre la mode accessible sans encourager la surproduction. Aujourd'hui, l'abondance des invendus neufs menace de transformer cette démarche en simple canal de distribution pour la fast fashion.

Des Initiatives Pour Réconcilier Friperie et Éthique

Face à cette dérive, certains acteurs du secteur tentent de préserver l’essence de la friperie. Les boutiques vintage ou les magasins spécialisés dans la seconde main de qualité mettent en avant des vêtements vintage, soigneusement sélectionnés, et privilégient des matières durables. Ces initiatives permettent de concilier mode, éthique et écologie.

Le responsable de la boutique vintage, Thankx God, I’m a VIP, tenait à faire la distinction entre une friperie et une boutique vintage :

« Nous pratiquons le dépôt-vente, où les pièces sont minutieusement sélectionnées. Contrairement aux friperies classiques, nous veillons à la composition des vêtements. Certains articles de grandes marques sont refusés si leur composition ne correspond pas à nos critères écologiques. »

Une telle sélection permet de remettre en avant l’idée de consommation raisonnée. En achetant des pièces uniques, de qualité et ayant une histoire, le consommateur ne contribue pas à l’accumulation excessive de vêtements, mais opte pour une consommation plus réfléchie.

Repenser notre façon de consommer la seconde main

Les friperies ont évolué, mais il est crucial de ne pas perdre de vue leur objectif initial : consommer mieux, pas plus. Si la friperie reste une alternative plus écologique à la fast fashion, elle doit impérativement retrouver son essence et refuser de se laisser absorber par la logique de surconsommation. En privilégiant la qualité, la durabilité et une consommation raisonnée, il est possible de faire en sorte que la friperie reste une véritable solution aux dérives de l’industrie textile.

Pour cela, il est essentiel de rester vigilant face à l’essor des invendus neufs et de se rappeler que l’essence de la friperie réside dans le recyclage, la durabilité et le respect de l’environnement. Car une friperie qui se transforme en un simple relais de la fast fashion perd tout son sens et devient, au final, une simple autre forme de surconsommation.

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