Coup de cœur poésie : "Permettez-moi de palpiter" de Pauline Picot, un trésor à découvrir

Pauline Picot, poétesse de l’instant et du fragment, capte en quelques lignes l’essence de nos émotions. Son dernier recueil, à glisser dans une poche, invite le.la lecteur.rice à plonger dans un “je” qui résonne. Le quotidien se transforme en poésie vibrante dans une écriture portée par le corps et le mouvement. Rencontre avec une autrice qui fait jaillir les mots et propose une expérience, presque physique.

Crédit : Andréa Dubois

PRSNA : Pouvez-vous vous présenter ?

PAULINE : Je suis Pauline Picot, autrice de théâtre et de poésie, mais aussi performeuse et chercheuse en études théâtrales.

PRSNA : Qu’est-ce qui vous a conduit au théâtre et la poésie ?

PAULINE : Un certain rapport au monde, de l’intensité de mon expérience et d’une sensibilité accrue. Comme tout le monde, j’ai commencé par écrire des choses assez mauvaises, empêtrées dans les débordements de ma subjectivité… mais, petit à petit, je me suis demandé ce que ça pourrait transformer dans mon écriture d’avoir pour horizon de la partager avec d’autres personnes. C’est à partir de là que j’ai commencé à travailler l’écriture dans sa dimension technique, et qu’il n’y a plus seulement eu un flot d'émotions et de sensibilité.

PRSNA : Comment décririez-vous votre travail en trois mots ?

PAULINE : Je dirais : vulnérabilité, palpitation et éclat.

PRSNA : Vous avez récemment sorti votre recueil « Permettez-moi de palpiter », pouvez-vous nous en dire plus sur ce travail ?

PAULINE : Il est sorti le 1er septembre aux éditions VROUM, une maison d’édition rennaise qui publie des objets à la croisée entre les arts plastiques, de la performance et de la poésie. Il n’y a pas de charte graphique systématique ; chaque ouvrage est un format unique composé pour ou avec l’auteur.rice, adapté à son texte. Sur la demande de Garance Dor, directrice éditoriale, j’ai sélectionné 50 de mes poèmes pour en faire un recueil. Ce sont des poèmes qui reflètent le monde qui passe à travers moi, ou moi qui passe à travers le monde. Je ressens très fort la pulsation du réel et je travaille beaucoup à partir de ça.

Permettez-moi de palpiter, Pauline Picot

PRSNA : Vous avez parlé du format du livre, avez-vous eu votre mot à dire sur le format, la couleur, la mise en page… ?

PAULINE : Cet ouvrage est vraiment issu d’un bel échange triangulaire entre Garance Dor (la directrice éditoriale),Vincent Menu (le graphiste) et moi. Je souhaitais un livre compact et ramassé, comme une météorite ou un coup de poing. Je ne voulais pas laisser respirer les textes dans de grands espaces blancs que je trouve intimidants pour les lecteurs.trices. D’où le petit format. L’orange de la couverture est une proposition de Vincent, et la symbolique de cette couleur résonne bien avec l’idée de mouvement, de vie. Pour ce qui est de l’aspect flipbook, je leur ai proposé qu’il y ait quelque chose de dynamique sur la page de gauche, afin que cela soit en cohérence avec leur ligne éditoriale. On a cheminé ensemble jusqu’à l’objet final. Vincent m’a notamment proposé cette magnifique chose : que mon corps se dissolve dans l’univers ; que je sois faite de petites particules d’électricité, d’énergie, qui font écho à mon travail de chercheuse et de performeuse.

PRSNA : Comment se déroule votre processus d’écriture ? Choisissez-vous vos sujets à l'avance ou est-ce quelque chose qui vous vient spontanément ?

PAULINE : Pour ce qui est de la poésie, le travail se fait d’abord en moi de manière invisible, imperceptible. Ça opère lentement juste après que j’ai ressenti, vu, entendu quelque chose. Cette chose-là est très proche de moi, donc  je ne peux pas immédiatement écrire dessus. Mais petit à petit, ça décante : le poème prend forme à l'intérieur de mon corps. Ensuite, il y a une nécessité impérieuse, pour moi, de l'écrire - je ne dis pas qu’il y a une nécessité que ce poème existe. J’écris très vite et je ne retouche pas. Souvent, je le publie tout de suite sur les réseaux sociaux parce que j’aime bien qu’il ait une existence immédiate.

PRSNA : Vos textes semblent très bruts et spontanés. Quelle place accordez-vous à la structure dans votre écriture ?

PAULINE : La structure, c’est ce qui sépare le poème de l’émotion brute. En ce moment, j’écris un article de recherche sur le discours de pathologisation des poétesses, qu’on a voulu ou veut faire passer pour des folles entièrement gouvernées par le règne de l’émotion. Je suis effectivement dans le sur-régime du cœur, et j’en joue dans mes poèmes. J’ai “un gros cœur” et “une grosse âme” qui prennent beaucoup de place. Mais je ne veux pas alimenter le discours patriarcal selon lequel les femmes ne sont que sensibilité et sensations. Donc la technique, la structure, le travail de la langue sont importants. Quand j’écris, je me demande également où est mon souffle ; le rythme du texte qui passe par mon corps dicte mes retours à la ligne. La mise en page m’importe aussi, sans que ça soit le critère principal. Et même si le poème est largement imparfait, je sais quand il est terminé. J’ai l’impression que quelque chose s’est apaisé, est redescendu après le plateau d’une intensité.

Permettez-moi de palpiter, Pauline Picot

PRSNA : Dans vos poèmes, on sent que chaque mot est soigneusement choisi et porte une grande intensité. Comment décririez-vous votre approche pour trouver les mots justes et créer un texte aussi concentré ?

PAULINE : Parce que je suis quelqu’un de très candide, j’accorde une grande importance à la parole donnée, aux mots tels qu’ils sont prononcés. À tel point que je peux être pénible, dans la vie quotidienne, parce que je vais demander : « est-ce ce mot-là précisément que tu voulais utiliser, ou plutôt celui-là ? ». Plus on est précis sur les mots, plus on arrive à se comprendre et à partager quelque chose. C’est la même chose en écriture : si je vous dis “j’écris sur l’amour”, ça n’atterrira pas en vous, parce que c’est trop vaste. Mais si j’écris quelque chose de très précis, une petite pépite en lien avec cet amour, elle a peut-être une chance d’atterrir dans le cœur des lecteurs.trices.

PRSNA : Les répétitions dans vos poèmes créent une atmosphère captivante. Comment travaillez-vous cet aspect dans votre écriture, et qu'espérez-vous transmettre au lecteur à travers ce procédé ?

PAULINE : La répétition chez moi n’est pas qu’un exercice formel d’écriture : elle s’ancre assez profondément dans ma structure psychique. Je suis une personne assez inquiète, mais je pense que c’est important d’être inquiet du monde. Dans cette inquiétude, il y a tout de même un désir de remettre un peu d’ordre ; d’où la forme de la liste. Mais c’est évidemment illusoire, alors très souvent cette liste s’échappe, quelque chose déraille. Concernant votre deuxième question, je ne sais pas si je veux “transmettre quelque chose”... Ce que j’aime surtout, c’est quand la poésie touche des lecteurs.rices, des “vrais gens” : quand il sort du cercle des initié.e.s. Je souhaite simplement que mes mots parviennent à quelqu’un qui puisse se dire, « ça, c’est pour moi ».

Crédit : Andréa Dubois

PRSNA : Quand vous écrivez à la première personne, on sent que c'est votre voix, mais elle résonne aussi chez le lecteur. Est-ce important pour vous que vos textes permettent aux autres de s'identifier à ce que vous exprimez, même si c'est très personnel ?

PAULINE : Quand j’étais plus jeune, j’écrivais des choses beaucoup plus abstraites, car je craignais de parler de moi ; d’être nombriliste. J’ai ensuite compris qu’il ne s’agissait pas de parler de moi mais de parler à partir de moi, pour rejoindre l’autre. J’essaie d’aller à la rencontre de l’autre. Et c’est bien si ça ne fonctionne pas toujours ; c’est bien de ne pas se retrouver dans tous les poèmes. Ils n’ont pas une vocation d’identification absolue : ils proposent simplement des entrées pour partager une sensation commune.

PRSNA : Dans votre recueil, le corps et le mouvement semblent jouer un rôle central, que ce soit à travers les textes ou l'image en flipbook. Comment le corps s'intègre-t-il à votre écriture, et pourquoi est-il si important pour vous de passer par cette dimension physique pour « dire le monde » ?

PAULINE : Dans ma vie de tous les jours, je ressens très fortement que j’habite mon corps : j’ai des sensations physiques très fortes, je suis constamment traversée par des émotions. Et quand j’écris, je suis dans un état de corps très particulier : une forme de retenue et de tension jusqu’à ce que le poème soit achevé. Et puis je travaille beaucoup avec mon corps en performance, ça vient aussi infuser dans l’écriture.

PRSNA : Votre recueil crée l’illusion du mouvement continu avec le flipbook quand on le feuillette rapidement, alors que la lecture d’un seul poème nous plonge un peu dans un instant suspendu. Est-ce qu’il y avait une intention derrière cette dynamique de mouvement et cette pause de la lecture. C’était voulu ?

PAULINE : Très bonne remarque ; je n’y avais pas pensé ! Cette idée du contraste entre le mouvement continu et la pause en lecture, c’est très intéressant. Je pense que ce qui a été le plus évoqué pour l’instant, c’est que je me rapproche petit à petit du ou de la lecteur.rice. L’idée, c’était de dire que la poésie, ce n’est pas seulement une chose abstraite qui provient d’un esprit lointain. Ici, la personne qui a écrit les poèmes est là, dans une posture d’attente, d'ennui, de désespoir, de questionnement. Elle se rapproche petit à petit, puis finalement elle n’est plus rien. C’est aussi une manière de remettre la poétesse à sa place.

PRSNA : Avez-vous un poème préféré issu de ce recueil ? Si oui lequel et pourquoi ? 

PAULINE : Le dernier poème, tiens… Parce qu’il contient le titre du livre :

Dans un instant on va me dire

Que mon gros cœur fait tache

Que ma grosse âme fait désordre

Que mes serments font gamine

Que mes épiphanies font cloche

En attendant permettez moi

De palpiter comme je me dois

Ce “permettez-moi” est un peu passif-agressif… Comme s’il disait : pardon, mais je vais prendre cette place. Je ne prends pas la place de quelqu’un, je prends ma place de sujet parlant. Et elle est à cet endroit du sentiment, de l’émotion, mais aussi des réflexions sur le monde.

PRSNA : Qu’est-ce que vous pourriez dire à quelqu’un qui ne lit jamais de poèmes pour l’initier ?

PAULINE : Les événements de poésie sont gratuits, et il y en a très souvent dans de nombreuses villes ! Peut-être qu’il sera plus facile d’écouter et de voir quelqu’un habiter son corps avec ses textes plutôt que de se saisir de l’objet livre, qui peut être plus intimidant et nécessite des moyens. Je dirais : viens écouter, n’ai pas peur, tu es le/la bienvenu.e.

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