C’est quoi le gatekeeping ?

Dans un monde où la totalité de la planète veut acheter le dernier it-bag, certain.e.s optent pour la discrétion et font de leurs trouvailles un secret bien gardé. On les appelle les gatekeepers. Décryptage.

Le gatekeeping, quèsaco ? 

Cette formule anglaise signifiant littéralement « garder le portail » est le mot qu’il faut connaître pour briller en société.

Le gatekeeping est le fait de contrôler et souvent de limiter l’accès général à l’information. Dans la mode, le gatekeeping consiste à faire taire ces secrets stylistiques et ces adresses fétiches. Cependant, on l’aura remarqué, la tendance actuelle est plus au partage qu’à la discrétion. Les influenceurs et influenceuses sont l’illustration la plus notoire de ce partage instantané. Sur Instagram, leur métier est de nous donner envie d’acheter. 

Nous, de notre côté, on passe la journée à chasser la dernière tendance pour finir par acheter une paire de Samba. Les images fusent, les tendances s’accélèrent, et l’originalité disparaît. La mode s’est muée en une sphère publique où s’échangent références, prix et marques. Par conséquent, il est compliqué de garder sa petite part de mystère.

Néanmoins, à contre-courant de ce flot continu, le gatekeeping commence peu à peu à s’installer dans les esprits. Dans un récent article pour The Cut, la mannequin Laura Harrier a fait l’apologie du gatekeeping. Lorsqu’on lui demande la localisation de ses shops vintages préférés, elle déclare :  « I’m in Europe I go to my favorite places, but I don’t want to say where. Controversial opinion, but I feel like we need to go back to gatekeeping. » La réaction de la jeune femme traduit un état d’esprit qu’on a déjà tous.tes ressenti au moins une fois dans notre vie . Qui ne sait pas retrouver dans cette situation où une copine demande : “Tu l’as acheté où ce manteau ?” Face à cette question, deux possibilités se présentent à nous : mentir ou balancer notre repère secret aux yeux du monde.

Dans cette société où l’uniformité règne, pourquoi veut-on à tout prix garder pour soi certains détails de sa tenue ? Qu’est-ce que cela veut dire de nous ? 2024 serait-elle l’année du gatekeeping ?

La mode, « un fait social »

La mode fait partie de nous autant qu’elle appartient aux autres. On s’habille pour soi, mais aussi pour autrui. Dans l’espace public, le vêtement permet de se présenter au monde tel qu’on le souhaite. Ainsi, la mode est paradoxale, elle est à la fois privée et publique. Dans Sociologie de la mode, Frédéric Godard évoque la volonté d’imitation et plus spécialement de « répétition universelle » de la mode. Ce système se traduit d’autant plus dans notre société avec la prédominance des réseaux sociaux. L’imitation est plus que jamais au cœur de nos pratiques quotidiennes. Pas plus tard qu’hier, je voulais m’acheter la nouvelle paire d’Adidas SL 72, hantée par les photos que j’avais liké sur Instagram.

ADIDAS SL72, tendances

@BritishGQ@annelauremais@vicmontanari

Pour revenir à Godard et son livre Sociologie de la mode, on peut parler de « convergence » dans les goûts. Notre vie est « matrixée » par un ensemble de tendances dictées par les institutions qui font la mode. Aujourd’hui, les réseaux sociaux ont pris une grande place dans ce processus. Les tendances sont donc dictées par n’importe qui, n’importe quand et n’importe où. Cet apport des réseaux est ambivalent, car il démocratise la mode tout en accélérant la consommation

Le gatekeeping, la solution pour rester stylée en marge de l’uniformité 

« Quelle est la marque de ce pull ? », « Où as-tu acheté ce jean ? », « Quelle est ta boutique favorite pour acheter tes mocassins ? »… Ces questions peuplent Instagram, TikTok, YouTube. Il suffit de lire des commentaires pour voir les internautes demander des liens sur des pièces ciblées. La mode semble être un droit à disposition de tous.tes. La youtubeuse Laini Orzak a posté une vidéo : Why i love gatekeeping fashion (am i just a b***?). En vingt minutes, elle développe les raisons pour lesquelles le gatekeeping est une alternative géniale pour la mode. 

Adopter le gatekeeping, c’est aussi prendre position ! Alors que la planète est au bord de l’implosion, le gatekeeping permet de ralentir le cycle des tendances et donc de consommation. Outre l’aspect climatique, il évite aussi qu’on porte les mêmes vêtements et il invite à ce que tout le monde explore son style. Imaginez des looks avec moins de Gazelles et moins de blouses Ganni ! ( je rigole, on adore les blouses Ganni.) En évitant de tout dire sur les pièces que l’on porte, nos looks sont donc plus diversifiés. Avoir une attitude, trouver ses propres goûts, ses pièces favorites, c’est aussi affirmer sa personnalité !

Pouvoir se forger un style hors du temps, hors des micro-trends.

Le gatekeeping s’applique aussi à la culture. Exemple : Quand ça fait 10 ans que vous connaissez Greta Gerwig et lors de la sortie de Barbie, tout le monde vous dit : “ Tu connais Greta ? Elle est géniale !” Face à cette remarque, on ressent une pointe d’énervement, voire de rage. Le gatekeeping consiste alors à revendiquer son avant-gardisme et à garder ses références. Ça peut paraître un peu égocentrique mais beaucoup le clament haut et fort !

Deux camps se dessinent alors : ceux qui pensent que la mode n’est qu’imitation et inspiration  et ceux qui veulent garder leurs secrets stylistiques. Et vous, quel est votre camp ?

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